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Gare de Liège de Santiago Calatrava

A l’aube du XXIème siècle, l’utilisation des chemins de fer se modifie. Le train est devenu un moyen de liaison entre les villes, moyen de voyager… Cependant, les concepteurs de gares se bornent en général à prendre en considération que les seuls flux de voyageurs donc que la fonction immédiate. Ils ne tiennent aucun compte de l’aspect de construction urbaine, de la possibilité de faire de la gare un emblème de la ville, un des édifices capables de lui conférer une image particulière, une identité propre. Calatrava, par ses différents exemples dont celui sur la Gare de Liège, nous montre et nous permet d’imaginer ce que serait une gare dans les années à venir : une gare futuriste !

 

L’ancienne gare de Liège n’était plus à même d’accueillir le nouveau trafic ferroviaire à grande vitesse. Pendant un certain nombre d’années, les trains à grande vitesse français en route vers Cologne traversaient la ville de Liège à une allure qui évoquait plus le XIXème siècle que le XXIème siècle. D’autre part, l’ancienne gare n’était plus adaptée pour recevoir les voyageurs dans des conditions de conforts modernes et beaucoup de points négatifs étaient présents (quais trop étroits, manque d’espace) donc, plutôt que de moderniser la gare existante, on a préféré la détruire pour en reconstruire une nouvelle qui serait beaucoup plus adaptée.

Ancienne gare de Liège dans les années 1970

A côté des exigences ferroviaires pour moderniser le site, Euro-Liège TGV a voulu faire de l’esthétique de la gare une question centrale, et lance donc un concours d’architecture international en 1996. A l’issu de ce dernier, Calatrava sera choisi pour concevoir la gare, en grande partie grâce à ses expériences notamment la gare de Zurich, la gare de l’Orient de Lisbonne mais également celle de Satolas, Lyon-Saint-Exupéry qui a contribué à faire sa renommée. Sa sensibilité pour l’urbanisme (ses constructions sont souvent dans un contexte urbain , et il avait suivi des cours d’urbanisme) est aussi certainement ce qui lui a valu de remporter le concours.  Il est sincèrement convaincu qu’un architecte peut donner un sens sacré à un lieu tel que la gare.

 

En juin 1997, il présente son projet définitif. Les travaux vont commencer en 1999 et terminé en 2009 soit avec 3 ans de retard. Le coût total aura été de 437 millions d’euros, ce qui a permis de payer les 10 000 tonnes d’acier nécessaire à sa construction, les 450 m de quais, la surface vitrée de 32 OOO m2, les 65 000 m3 de béton, la voûte formée de 39 arcs de 160 m de long pour une charpente de 40 m de haut et 73m de large.

 

437 millions d’euros : La Gare a dépassé son budget. En effet, à la base, le budget initial était de 62,5 millions d’euros soit une augmentation d’environ 374 millions d’euros. Calatrava ne répond pas vraiment à ce sujet et souligne qu’il veut à chaque fois « créer quelque chose d’exceptionnel qui met les villes en valeur et améliore la vie des personnes qui y vivent »

Projet d'amménagement de la place devant la gare

Calatrava joue souvent avec bonheur avec les contraintes que lui imposent le site et l’histoire. Il a désir de prendre en compte les contraintes de l’environnement qui permet de dégager ses atouts cachés. Se confronter à la pauvreté de l’environnement qui caractérise bien les projets urbains, c’est aussi le moyen de découvrir la richesse et d’en tirer parti. Ainsi, il va rétablir le lien entre le quartier de Guillemins (au nord) et la colline de Cointe (au sud) : soit un secteur urbain en pleine réhabilitation et sa zone industrielle moins dense jusque-là, isolés l’un de l’autre par des voies ferrées. Le projet de Calatrava jette un pont entre ces 2 quartiers avec un terminal pour passagers de 200m de long de part et d’autre d’un axe nord-ouest/ sud-est, édifié symétriquement.

La gare contemporaine a pour fonction de requalifier le tissu urbain environnant et de relier les différentes parties de la ville, donnant ainsi au quartier une nouvelle identité.

Située à l’Est de l’ancienne gare, le chantier a entraîné la démolition de tout un pâté de maisons afin de permettre l’établissement d’une nouvelle place aéré côté ville.  Projet d’aménagement global, cohérent, structurant pour le quartier et qui découle d’un constat : les gares sont le moteur le plus puissant des villes. La valorisation de la gare est donc vue comme un lieu à partir duquel on doit repenser l’espace urbain voisinant sinon le quartier dans sa globalité.

La conception architecturale de la gare de Liège joue donc un rôle important : elle donne du caractère, et de la personnalité à l’installation et à ses abords, en même temps qu’elle confère du prestige à la ville elle-même.  La gare va donc être vue comme un symbole de la ville, tout comme la Tour Eiffel est le symbole de Paris.


 

Calatrava a créé un terminal de 200m de long implanté symétriquement par rapport à un axe nord-ouest / sud-est. La gare s’organise essentiellement sur 3 niveaux : centre de passage et passage sous voies, les quais, et les passerelles au nombre de deux qui facilitent la fluidité de la communication entre les 2 côté de la gare. Les quais, au nombre de 5 font 8m de large et sont constitués de 9 voies rectilignes dont les voies 1 et 2 sont consacrés aux trains vers l’Allemagne, les voies 3 et 4 pour ceux vers Bruxelles. Les matériaux qu’il utilise sont le « verre, acier, béton, pierre et la lumière » qu’il travaille avec l’ambition d’en « faire un évènement plastique ». Ce béton peint en blanc n’est pas nouveau pour Calatrava puisqu’il l’utilise dans d’autres projets, ce qui donne une touche de modernité et augmente la lumière dans l’édifice. D’ailleurs, la gare de Liège est appelé « la gare blanche ». Cette blancheur est en opposition avec la couleur urbaine. En effet, la majorité des bâtiments, comme c’est le cas autour de la gare, sont en briques soit une tonalité assez profonde, sombre, ce qui provoque un contraste.

Environnement architectural

Calatrava réinvente totalement la façade, ou plutôt il n’y a plus de façade. C’est pour lui une transgression fondamentale. Au lieu d’une façade traditionnelle, il y aura que de grandes ouvertures signalées par des auvents métalliques au-dessus de la place devant la gare. Cette décision entraîne des conséquences importantes sur le plan fonctionnel : Au niveau du symbole, on peut se demander Comment une gare sans façade peut-elle être identifiée comme-t-elle ? « LE site est urbain, et il m’a semblé que la première vision que les voyageurs ou les visiteurs auront de la gare sera importante. ».  Pour son goût de la transgression, il devient de plus en plus apparent que les approches calculées de l’architecte impliquent un respect des conditions économiques et de la fonctionnalité du projet, et cherchent à favoriser une réflexion spécifique dans la gamme des possibilités techniques offertes.

 

La couverture voutée monumentale recouvrant le bâtiment s’étend au-dessus des 5 quais sur 145m supplémentaires et se prolonge d’un côté par de longues marquises plates aux nervures métalliques. Cette voûte monumentale en verre et en acier donne l’impression que la gare est complètement ouverte sur la ville. Un auvent arrondi, en saillie, en forme de « casquette » souligne l’accès principal depuis le parvis de la gare. A travers cette étonnante voile gonflée, Calatrava semble atteindre un nouveau sommet de son art, et va au-delà de ses projets antérieurs d’esprits plus biomorphiques où il trouve sa source d’inspiration dans la nature. Il semble s’orienter vers une réalisation encore plus légère et aérienne.

Extrême simplicité de la structure et de son arc gigantesque où les talents d’architecte et d’ingénieur de Calatrava se fondent en une création d’une indéniable élégance. Il est persuadé qu’il faut travailler à partir de formes simples pour montrer qu’il était possible de créer un contenu puissant et de susciter une réponse émotionnelle.

Les croquis de Calatrava explicitent la forme en vague de la couverture de gare et illustrent la simplicité.

Coupe de la gare

Pour ce qui est de ces croquis : pour l’architecte, l’architecture est le résultat d’une pratique dont la conception même de la forme est travaillée par l’exercice du dessin. Le dessin est la base, le socle, la fondation de toute sa réflexion. Après le dessin, il va passer à la sculpture pour démontrer la justesse, l’articulation complexe, la géométrie et le déploiement dans l’espace. Puis à partir de la sculpture, il passe à l’architecture !

 

Du dessin à la sculpture, de la sculpture à l’architecture, c’est dans ce cercle que Calatrava nous fait avancer dans son univers. « Pour faire une architecture originale et personnelle, je dois passer par un travail de recherche qui se matérialise par la sculpture et le dessin. C’est sur cette base que j’ai créé un vocabulaire original qui transgresse cette frontière entre architecture et sculpture ». Il se penche beaucoup sur l’étude de l’œil (thème récurrent) : pour Liège on peut également y voir une rapide allusion quand on compare son dessin à un autre de ses projets : La cité des sciences de Valence. Il se penche sur les dessins du corps humain, représenté seul ou en groupe, combiné avec des édifices (comme c’est le cas ici) :  ces dessins nous montrent combien ils inspirent les analogies et les métaphores qui hantent son architecture et ses projets : positions, gestes, profils sont constamment sollicitées, réinterprétées et intégrées à de nouveaux projets.  Ebauche du corps en mouvement pour l’introduire dans un univers fluctuant.

Pour un autre de ses croquis, Calatrava illustre sa réflexion sur l’architecture avec une forme organique animale assez récurrente dans son œuvre (dessins, sculptures, projets) : l’oiseau ! Ici, on a l’évocation d’un oiseau en vol, qui est représenté de manière abstraite et qui évoque donc le mouvement.

Evocation d'un oeil ? (en haut), et d'une vague (milieu), croquis de Calatrava

Planétarium de la Cité des sciences de Valence en Espagne, croquis de Calatrava

Allusion abstraite à un oiseau en vol, gare de Liège, croquis de Calatrava

ll est fasciné par les structures mobiles, qu’il utilise sans cesse dans ses architectures : on peut y faire une comparaison ici ! Pour lui : « L’architecture et la sculpture sont deux fleuves dans lesquels coule une même eau » (1997). En dehors de cet intérêt permanent pour l’Art (qui doit être considéré comme une source d’idées pour l’architecture), Calatrava apporte également une vraie définition très personnelle de l’architecture : le mouvement ! Il est fasciné par le thème de la mobilité. L’histoire de la modernité est celle du mouvement, ce qui engendre des structures dynamiques qui dépassent souvent leur simple fonction pour célébrer l’arrivée, le départ, la transition. Les formes nervurées, les ouvertures et l’abondance des percées de la lumière naturelle animent les espaces intérieurs et font naître un étonnant sentiment de mouvement qui va-au-delà de celui du déplacement des voyageurs.

Détail d'un mobile, 2004

Tout l’édifice forme une énorme cage vitrée qui permet à la lumière naturelle de pénétrer à l’intérieur et souligner le dessin des éléments structurels (arcs, voûtes, murs) en béton brut de coffrage, peints en blanc. Les espaces intérieurs se développent en plusieurs niveaux et permettent de relier le parvis à la colline située derrière la gare et au pied de laquelle sont aménagées les parkings et les voies piétonnes. Le hall d’arrivée et de départ et tous les services se trouvent à l’étage inférieur. Cet étage est éclairé grâce aux dalles de verres qui façonnent le sol des quais et qui permet de filtrer la lumière. Au départ du passage sous voies, les quais sont accessibles via des escaliers fixes et mécaniques et des ascenseurs panoramiques. Au départ des passerelles, ils le sont grâce à des escaliers fixes et mécaniques. Des tapis roulants, situés côté Meuse, permettent de ramener sans effort les voyageurs des quais vers les passerelles. L’organisation fonctionnelle est essentielle : on doit prendre en compte le voyageur. Le parcours à l’intérieur de la gare est dégagé, et la gare devient plus confortable.

 

Intérieur

Dallage en verre des quais

Bibliographie / Webographie :

 

  • Sous la direction de PICON Antonio, L’Art de l’ingénieur : constructeur, entrepreneur, inventeur, Paris, Editions du Centre Pompidou, 1997, p103-104

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  • SABBAH Catherine, Horizons Architectures : 50 bâtiments et ouvrages d’art dans le monde, Paris, Editions du Moniteur, 2001, p103-104

  • MAZZONI Cristiana, Gares architectures : 1990-2010, Arles, Editions Actes Sud, 2001

  • COPANS Richard, NEUMANN Stan, Architectures 2, « Satolas-TGV : un monument à la campagne », film proposé par ADDA Catherine, Paris, Arte Vidéo et Réunion des musées nationaux, 2001, 26 minutes

  • PEARMAN Hugh, L’Architecture du monde contemporain, Paris, Editions Phaidon, 2002, p180-182

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  • Sous la direction éditoriale de TASCHEN Laszlo, L’architecture moderne A-L [volume 1], Paris, Editions Taschen, 2010, 82-85

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  • VAN UFFELEN Chris, Stations, Salenstein, Editions Braun, 2010, p 32-35

  • JODIDIO Philip, Architecture Now 7, Cologne, 2010, Editions Taschen, p50 ; p132-140

  • CHARIOT Constantin, Santiago Calatrava : Sculptectures [exposition du 27 mai au 20 septembre 2010 organisé par la direction des Musées de la ville de Liège], Bruxelles, Editions Fonds Mercator, 2010

  • Sous la direction de BRAUN Markus Sebastian et VAN UFFELEN Chris, Atlas de l’Architecture mondiale, Paris, Editions Citadelles & Mazenod, 2013, p71

 


 

L.B

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